1 poulain par jument et par an : possible ? souhaitable ?

Publié le par Catherine Kaeffer. Editions Alpha et Omega

Lorsqu’on élève un poulain pour son plaisir, la question ne se pose évidemment pas. Mais lorsqu’on est éleveur professionnel, elle prend tout son sens.

Parce que, osons le dire, un bon éleveur est un éleveur vivant. Si vous travaillez bien, si vous aimez vos chevaux, il est important pour vous comme pour eux, que vous ne mettiez pas la clé sous la porte au bout de quelques années. Il faut donc que bon an mal an, vous fassiez un bénéfice… je ne vous parle pas de rouler sur l’or car rares sont ceux qui le peuvent, mais simplement de survie de votre élevage.

Pour que l’élevage tienne le choc au fil des années, il n’y a pas 36 solutions. Il faut que le prix de vente des poulains couvre les besoins d’entretien de la poulinière, de l’étalon éventuellement, de la structure et fasse bouillir votre marmite.

Le prix de vente d’un poulain (et parfois la vente tout court) est un phénomène hautement sujet à variations. Certaines races peuvent avoir un engouement à un moment donné et 15 ans après, se trouver délaissées et 15 ans c’est très court pour un élevage. Certaines couleurs vont plaire… ou pas. Lorsque j’étais jeune, les gris étaient souvent prisés. Crin-blanc avait fait rêver des générations ! Aujourd’hui, on les accuse de faire souvent des mélanomes. Certes mais pas plus qu’avant. Seulement la perception des acheteurs n’est plus la même. Gageons que les crèmes qui sont aujourd’hui si recherchés vont d’ici quelques dizaines d’années ne plus être appréciés du fait de leur sensibilité au soleil. Certaines lignées peuvent être très appréciées jusqu’à ce qu’elles soient trouvées porteuses d’un gène déficient… bref, pour le prix de vente du poulain, on fait de son mieux mais il faut compter avec le marché qui est loin d’être stable.

Reste le prix de revient de ce poulain. J’avais fait une étude de rentabilité il y a des années. Il n’y a que deux solutions pour s’en tirer. Soit on produit un poulain à coût minimum : pas de reproducteur coûteux, pas de sélection, alimentation minimum, suivi vétérinaire réduit au strict nécessaire, élevage extensif. On aura alors un produit de qualité médiocre mais relativement peu cher à la production, ceci pouvant compenser cela. On peut alors se permettre de vendre pas cher (bien que ce ne soit pas toujours le cas). Soit on peaufine, on choisit des reproducteurs sains et testés, une bonne alimentation, un bon logement, un bon suivi véto. On en est fier mais cela occasionne des dépenses conséquentes. Une seule solution, les amortir sur un nombre suffisamment important de poulains.

C’est là qu’arrive la notion de 1 poulain par jument et par an. Sachant que la gestation théorique est de 11 mois et que les juments peuvent assez souvent porter plus longtemps, cela veut dire qu’il faut remplir soit sur la chaleur de lait, soit sur la suivante et que petit à petit on va avoir un décalage au fil des années. Sans compter les aléas de toute reproduction.

Si la jument porte un poulain tous les 2 ans, vous pouvez vous permettre qu’elle « sèche » en lactation, de ne pas apporter beaucoup de complémentation spécifique au poulain ou de sevrer à 12 mois. A noter que dans cette configuration, on cumule à la fois une complémentation souvent moindre et le fait de prolonger la lactation qui on le sait est la période où l’organisme de la jument est le plus sollicité. 6 mois de lactation en plus, avec un poulain dont on a l’impression qu’il « tétouille » et donc que c’est sans grande conséquence pour la mère, est souvent très délétère au niveau des structures osseuses et corporelles de la jument même si extérieurement elle peut avoir un aspect plutôt rond. En fait, si on fait un sevrage 12 mois avec un poulinage tous les 2 ans, on a le même nombre de mois de lactation que si l’on fait un sevrage 6 mois avec un poulinage tous les ans. Même si la production de lait est moindre, la différence n’est pas si importante qu’on pourrait le croire.

Par contre, si elle porte un poulain tous les ans, il faut la remplir tout de suite après la mise-bas, complémenter très sérieusement la jument comme le poulain, sevrer à 6 mois. Et bien entendu, pas question qu’elle sèche en lactation. Elle doit arriver au sevrage au minimum dans l’état corporel qu’elle avait en début de gestation précédente. Les recommandations de l’INRA sont même qu’elle doit arriver un peu plus ronde pour pouvoir absorber sans souci la lactation suivante. Et évidemment, elle ne doit pas non plus avoir eu besoin de tirer sur les réserves minérales de ses os car sinon, de lactation en lactation, elle va se dégrader un peu plus.

Je sais que certains lecteurs vont être choqués et considérer qu’il s’agit là d’une exploitation abusive de la jument voire même carrément de maltraitance. Mais à mon sens, le choix est loin d’être évident.

Si on parle finances, le choix est clair.

Pour 1 poulain de 6 mois, avec une production tous les 2 ans, vous avez 1 saillie, 1 identification, 1 suivi de poulain, moins d’aliment poulain si vous prolongez la lactation mais 2 ans d’alimentation de la poulinière, de soins vétérinaires pour elle. Elle occupe une place dans votre structure. Il faut aussi compter les 3 premières années de sa vie qui doivent être amortis sur sa carrière ou son prix d’achat. Si vous avez un étalon maison, il y a une quote part du prix de son achat et de son entretien sur cette période de 2 ans.

Pour le même poulain de 6 mois avec une production tous les ans, vous avez toujours 1 saillie, 1 identification 1 suivi de poulain et plus d’aliment pour le poulain puisque vous sevrez à 6 mois et qu’il faut prendre le relais de la mère. Mais pour la jument, vous l’avez alimentée certes de façon un peu plus important mais seulement un an, vous n’avez qu’un an de suivi véto (même si cette année-là peut être plus onéreuse) et d’occupation de votre structure. Son prix d’achat, son entretien en tant que pouliche ainsi que le coût d’entretien de l’étalon seront répartis sur plus de poulains.

Cette seconde situation demande à l’éleveur plus de travail, beaucoup plus de technicité et de soin mais est forcément plus rémunératrice. Sachant qu’un élevage qui tourne bien et qui gagne de l’argent a beaucoup plus de latitude pour opter pour un produit ou un soin un peu plus cher mais de meilleure qualité ou plus fréquent.

Mais pour la jument, n’est-ce pas trop dur ?

Et bien non, si l’alimentation et les soins suivent, cela ne pose pas de problème particulier. L’expérience prouve qu’on peut avoir des juments en bien meilleur état avec 1 poulain par an pendant toute leur carrière (avec la qualité de suivi qui va avec bien sûr) qu’avec 1 poulain tous les 2 ans et donc un nombre de mois en lactation sensiblement égal mais sans un suivi nutritionnel et vétérinaire aussi rigoureux.

Catherine Kaeffer

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Poulain. Techniques d'élevage. Editions Alpha et Oméga Tous droits réservés

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