Anecdote cheval : l'équilibre nécessaire de la terreur ?
Régulier, le cheval exécute les demandes de son cavalier. Le couple évolue dans une harmonie qui se ressent jusque dans la puissance et le calme dégagés par ce grand cheval.
Depuis 3 ans, le cavalier multiplie les contrôles et les examens : vétérinaire, ostéopathe, dentiste, kinésithérapeute... le cheval est examiné, analysé sous toutes les coutures, à la recherche d'un détail, d'un indice... quelque chose qui pourrait tout expliquer.
A chaque examen, la réponse est identique : « votre cheval est en pleine forme, il va très bien ».
Sans relâche pourtant, le cavalier demande à de nouveaux spécialistes, de nouveaux examens, de nouvelles analyses... Il doit y avoir une raison, il faut qu'il y en ait une.
Le cheval termine son cercle dans un galop régulier. Sur demande de son cavalier, il repasse au pas et s'exécute sans discuter.
Il se dirige vers le pare-botte guidé par un cavalier dont les épaules s'affaissent de plus en plus.
Dans un soupir, le cavalier saisit une cravache sur le pare-botte et demande un demi-tour à son cheval.
Le cheval reprend un petit trot régulier, les oreilles en avant, il part en cercle. L'harmonie ne semble en rien perturbée mais le cavalier est tendu.
Soudain, tout bascule. La puissance devient arme de guerre et le combat s'engage. Le cheval rue, se cabre, saute, chope la botte de son cavalier, l'arrache avec violence... le cavalier se rattrape tant bien que mal, cherche à apaiser le cheval... rien n'y fait.
Le combat s'éternise, violence, peur et rage se mêlent dans l'affront.
Le cavalier cravache alors. Un coup, deux coups... au troisième, le cheval s'immobilise avant de repartir dans un petit trot cadencé.
Cavalier et cheval reprennent leurs souffles dans un travail soigné. L'harmonie est rétablie pour quelques instants encore.
Chaque fois, la même rengaine, le même refrain... tout va bien et puis quand le chaos survient, une seule solution, se battre. Cette solution, le cavalier la répugne mais il n'en trouve aucune autre.
A chaque bataille, l'harmonie est rétablie, au prix d'un équilibre de terreur nécessaire.
Les minutes passent, d'autres spectateurs se joignent à moi. Ils s'émerveillent de la qualité du travail, de l'harmonie dans ce couple... rien ne transparait, rien n'est visible, rien, si ce n'est le regard désespéré du cavalier.
Une année passe, les vétérinaires continuent d'examiner ce cheval, ils cherchent avec le cavalier à percer le mystère de ces crises passagères.
Un jour comme les autres, le cavalier prépare son cheval dans la cour. Il se prépare également, prend la cravache, cette arme qui ne le quitte plus et amène son cheval en carrière.
A peine arrivé en carrière, il monte sur le cheval. Avec un profond dégoût de lui-même, il menace le cheval, le cravache pour rien, gratuitement... ils n'ont pas encore fait un pas.
Les spectateurs sont scandalisés, ils blâment ce cavalier qui ose frapper son cheval alors qu'il n'a rien fait.
Mais ce que les spectateurs ignorent c'est combien le cavalier déteste cela, combien le cavalier aimerait tout changer, combien le cavalier a payé de sa personne pour ne pas en arriver là, combien il apprécierait des rapports « normaux »...
Six ans de travail, de recherches, d'analyses, de tests se finiront un matin où le cavalier dégoutté de lui-même, dégoutté de ce qu'il est devenu, décidera d'abandonner ce cheval auquel il tient tant.
A bientôt,
Anne