L’école de la deuxième chance

Publié le par Anne et Cat

 

" Celui-là, il a la belle vie. Rien à faire qu’à brouter toute la journée ! "

 

Celui-là s’appelait Askin. C’était un poney de 9 ans, un peu plus grand qu’un shetland dont il avait hérité l’aspect nounours. Il avait été acheté sur un coup de tête par le directeur du centre équestre pour tirer une petite voiture les jours de fête.

 

On confond souvent le débourrage avec un vermifuge… on le calcule proportionnellement au poids : un grand cheval aura le droit à plusieurs mois. Pour un petit poney, on monte dessus et taïaut, cravache au cul. Quand il s’arrête, il est débourré.

 

Askin était un sage. Il en avait conclu que l’homme à pied n’était pas dangereux mais qu’il l’était quand il était sur son dos. Alors, il s’était fondu dans le décor et se faisait oublier : " Celui-là, il a la belle vie. "

 

Mais 8 jours avant la Fête du Club, on s’était souvenu de lui. Ce serait si sympa de grimper les enfants dans la voiture pour leur faire faire le tour du pré. Il peut bien faire cela.

 

On essaya donc de le monter " pour le remettre aux ordres ". Rapidement, Askin décida que décidément, avoir quelqu’un sur son dos était trop dangereux mais comment se débarrasser d’un cavalier, au demeurant instructeur d’équitation quand on est un petit poney sans expérience ?

 

Alors, il partit à fond de train, grand galop, sortit de la carrière, dévala le talus, traversa la cour pour finir sa course au milieu des voitures, dans le parking sur un pile qui enfin le délivra de son encombrant paquet.

 

Le dit paquet n’était pas content, mais alors pas content du tout. Se faire trimballer par un poney haut comme trois pommes devant les clients quand on est un grand donneur de leçon, c’est humiliant.

 

Il se précipita au bureau, prit son téléphone et composa le numéro de l’abattoir. Les enfants suppliaient. Rien à faire, le chef c’était lui.

 

Chaque homme a son talon d’Achille, celui-là était un radin de première. Le cours de la viande était au plus bas.

 

- " Tu l’as acheté cher. Tu ne rentreras pas dans tes frais. S’il était remis, tu pourrais le vendre comme poney de selle et tu ferais un bon bénef. "

 

Le téléphone a été raccroché.

 

-" Si tu as du temps à perdre avec cette carne, qu’à cela ne tienne ! "

 

C’est ainsi que je me suis retrouvée avec un poney que je connaissais à peine. Ensemble, nous avons relevé les manches et mouillé la chemise.

 

Il a fallu lui apprendre toutes les bases de son métier, à pied bien sûr puis attelé parce qu’il était trop petit pour être monté par une adulte (je parle d’équitation, pas de transport de sac !). Son avenir était sombre, il fallait qu’il apprenne simplement pour survivre.

 

Un jour, deux personnes sont venues au Club. Elles cherchaient des chevaux pour leur centre équestre. Je travaillais Askin en longe quand le directeur leur a demandé si elles n’avaient pas besoin d’un poney. A priori non.

 

Il fallait qu’Askin ait un avenir. C’était sa chance. Je savais bien qu’au pas, cool, il ressemblait à un gros nounours sans intérêt. Alors j’ai proposé une petite démonstration de son dressage, rien que 2 minutes.

 

Ils ont accepté par politesse.

 

J’ai appelé " Askin " ce qui était notre code pour la reprise du travail. Il a instantanément relevé la tête et s’est mis à l’écoute. Pendant 2 minutes, il a sortit ses allures et tout ce qu’il savait dans le plus grand calme. Il a même exécuté à la perfection sa spécialité : galop, arrêt, reculer, départ au galop du reculer… le tout à la voix.

 

Ils en avaient les yeux grands comme des soucoupes et la vente a été conclue.

 

Askin est encore resté 15 jours. Ce fut largement suffisant pour qu’il apprenne à faire la même chose monté par une jeune cavalière. Aucune défense, aucune peur, une simple transposition.

 

Quelques mois après, il était devenu la coqueluche du poney-club, celui qui rassurait les enfants et les parents. Il restait sage en attendant son tour et dès que le moniteur disait " Askin, gaaalop ", il démarrait dans un petit galop cadencé, confortable en suivant la piste.

 

Son avenir était assuré.

 

Avoir un bon dressage est une assurance-vie pour un cheval dans notre société. On peut le déplorer mais c’est ainsi. Avoir un cheval ou un poney dans un pré, à qui on ne demande rien donc à qui on n’apprend rien, peut paraître généreux… mais c’est lui préparer des jours difficiles.

 

Pensez-y.

 

Cath

Publié dans Anecdote

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