Plus fort que la compréhension, l’adhésion
Un poney attachant avec un dos long comme un jour sans pain et creux comme une baignoire.
C’est un poney qui a mal. C’est un poney qui se révolte.
Bon, pas de problème. Nous relevons nos manches. 6 mois de travail et voilà notre poney avec un dos musclé dans le bon sens et des abdominaux à faire rêver un bodybuilder shooté aux hormones.
Mais avoir un dos correct ne veut pas dire avoir perdu totalement ses mauvaises attitudes.
Bon, pas de problème. Nous relevons nos manches. 6 mois de travail et voilà notre poney qui vous inverse la courbure de son dos sur simple demande… à pied parce que tout de même l’équitation avec les jambes qui sont à 30 cm du sol, ce n’est pas de l’équitation, mais du transport de sacs.
Il avait compris.
Il aurait été un cheval, cela aurait été la fin de l’histoire. S’il s’était ouvert, s’était couché sur son cercle ou était parti sur les épaules, le cavalier serait intervenu. Il se serait remis en place, il savait le faire. Et l’affaire aurait été close.
Mais force était de constater que notre travail, c’était un emplâtre sur une jambe de bois.
Tout ça, parce qu’il était petit.
Il devait donc être monté par des cavaliers légers.
Qui dit légers, dit jeunes.
Qui dit jeunes dit sans expérience.
Un cheval de club, c’est 60 % de débutants.
Un poney de club, c’est 95 %.
Comment espérer qu’un cavalier de 6 ans tout mouillé, qui en est à sa 10e leçon d’équitation, sente que le poney s’ouvre et agisse pour qu’il reprenne une attitude meilleure pour son dos ?
Autant croire au Père Noël !
Bilan des courses : au bout d’un an de travail, il savait tout faire comme un grand, comme un cheval… et rien n’était résolu.
Je lui avais appris comment travailler. Il fallait maintenant qu’il comprenne pourquoi je lui demandais cela.
Alors j’ai fouiné dans tous les bouquins de tous les grands cavaliers capables de tenir un crayon. Toujours pareil. Ils étaient écrits par des cavaliers pour des cavaliers. On vous y expliquait comment apprendre à un cheval à travailler juste avec un cavalier qui savait monter.
Pas comment apprendre à un cheval à travailler juste en dépit d'un cavalier qui faisait n’importe quoi là haut.
On connaît tous des personnes qui ont des problèmes de dos et à qui on explique que certains mouvements sont mauvais pour eux. On sait toutes les difficultés qu’ils ont à changer leurs habitudes, même s’ils sont convaincus qu’il faudrait le faire.
Pour lui, c’était pareil.
Sauf que même si je lui avais accroché un schéma de son dos au mur, il y a peu de chances que cela lui ait fait prendre conscience du problème !
Quand on n’a pas de méthode, pas de conseils, il faut improviser.
J’ai donc mis au point un petit exercice rien que pour lui.
Au lieu de corriger sa position, je la laissais se dégrader. Je laissais le dos se creuser et les postérieurs se faire la malle. Et je regardais ses yeux. Quand j’y lisais une crispation, une tension, quand je voyais la douleur poindre, je demandais l’inversion de la courbure du dos… pas avant.
Il remettait tout en place. Et j’attendais tranquillement le prochain tour, ou le suivant, où petit à petit il se laisserait de nouveau aller.
20, 30 fois par séance. Tous les jours. Pendant des mois. Des milliers de répétitions.
Un jour, je suis arrivée à l’écurie en pensant que j’étais stupide, que ce que j’attendais de lui était impossible, que tout cela ne servait à rien.
Il était dans le pré. Il avait plu. L’entrée était boueuse.
Je l’ai appelé, il est venu me voir au galop.
Vite, très vite… trop vite.
Arrivé sur la boue, il voulut freiner, freiner avant de se prendre la barrière.
J’ai vu le dos se creuser, la tête monter. Ses yeux se voiler de douleur et de peur.
Nous en étions tous les deux convaincus, il allait s’éventrer contre les piquets.
Dos creux, douleur… réflexe conditionné : inversion de la courbure du dos.
Équilibre. Arrêt à 1 mètre de la mort.
Il a regardé la barrière, incrédule. Moi. La barrière. Moi. Il réfléchissait.
Il a explosé en sauts de mouton, rond comme un cheval de rodéo. Est venu poser sa tête sur mon épaule en un merci éloquent. Est reparti comme un fou.
Ce jour-là, dès le premier temps de trot, j’ai vu le dos fléchir… mais avant que je n’aie eu à intervenir, lui l’avait déjà corrigé.
On a savouré cette victoire ensemble. On est resté là-dessus.
Je n’ai jamais plus eu à intervenir.
Il s’était libéré de l’emprise du cavalier.
Il avait adhéré.
Cat