Le maillon faible
Depuis des années, il en rêvait. Un cheval de dressage, un fait pour cela, avec des allures qui volent, un équilibre parfait, un allant et du charisme. Mais dans les lignées qui faisaient battre son cœur, les poulains étaient souvent vendus bien avant le sevrage et à des prix qui explosaient ses moyens financiers.
Alors depuis des années, il renonçait et continuait à travailler des chevaux qui n’étaient pas conformés pour ça.
Un jour, au hasard d’un salon, il rencontra un éleveur qu’il connaissait bien. Et bien entendu, ils se retrouvèrent à échanger sur les poulains de l’année.
L’éleveur était déçu. Un de ses poulains, dans lequel il avait mis de grands espoirs avait un défaut de conformation d'un jarret. Ce jarret faible, c’était la fin de toutes les promesses d’international auquel sa génétique lui permettait d’aspirer. Un poulain sans avenir : trop de sensibilité et de sang pour un cheval de loisir, un défaut majeur pour la compétition de haut niveau.
Mû par la curiosité, le cavalier alla voir le poulain. Il avait tout ce qu’il rêvait depuis des années : un physique à couper le souffle, beaucoup de gentillesse, de la prestance… et effectivement un jarret calamiteux. Un jarret qui pouvait à tout moment rendre le cheval définitivement boiteux.
Il décida de tenter leur chance à tous les deux. Il acheta le poulain, lui donna la meilleure alimentation possible, le débourra avec douceur, le muscla, le renforça. Il s’interdisait de demander certains mouvements, prenait les plus grandes précautions pour en aborder d’autres…
Le cheval grandit en force et en beauté. Il devint splendide, remplit de bonheur et de fierté son propriétaire.
Pas un jour le cavalier ne cessa de penser à ce jarret fragile.
Pas une fois, il ne s’autorisa à demander un mouvement qui aurait pu exiger trop.
A un âge avancé, après une vie bien remplie, le cheval s’éteignit… il n’avait jamais boité.
Catherine Kaeffer