Sans rancune
On les observait depuis un moment dans leur pré, ces 3 jeunes chevaux couverts de boue et de glace. Alors que deux se déplaçaient normalement et étaient en bon état, le dernier était bizarre, un peu figé comme le paysage d’un blanc immaculé qui l’environnait.
Il fallait en avoir le cœur net.
Jamais manipulés, jamais licolés, ayant eu des contacts très épisodiques avec l’homme, les rentrer n’allait pas être une mince affaire… et de fait, ce fut assez sportif sauf pour le « sympa » qui se laissa faire avec un calme suspect. Il marchait en boitant légèrement, avec un port d’encolure rigoureusement horizontal et curieusement immobile à chaque pas.
Suspecter est une chose mais allez faire un bilan complet sur un cheval dont le seul coin non recouvert d’une croûte de boue et de fumier est les yeux !
Pour soigner, il fallait comprendre. Pour comprendre, il fallait voir. Pour voir, il fallait le dégager de sa gangue et à ce stade, dégager de la gangue c’était doucher… mais doucher un poulain en mauvais état, en poil d’hiver et par moins 10° ?
Dès le lendemain, on réquisitionnait une pièce attenante à la sellerie pour faire office de salle de douche. On l’isolait par une bâche plastique tendue. On mettait en batterie le vieux poêle pour y faire un feu d’enfer. Dès que la température fut un peu plus clémente, on brancha le tuyau, on amena le poulain qui ne bougea pas une oreille ni pour le transfert, ni pour entrer dans la pièce, ni au contact de l’eau… inquiétant.
2 heures plus tard, le poulain était trempé, épuisé mais propre. Pour éviter qu’il se refroidisse, on le sécha à la serviette, puis au sèche-cheveux. Là encore pas de réaction particulière, il se laissait faire avec un air à la fois triste et plutôt content qu’on s’occupe de lui.
Vint l’heure du bilan : quelques égratignures sans gravité mais rien ne justifiant ni sa maigreur, ni son attitude. A force de chercher, sous le poil maintenant bien gonflé, on trouva au niveau du garrot une croûte visiblement ancienne. La clé du problème. Il fallait aller plus loin.
On se mit à trois pour le tenir pendant qu’on regardait la croûte de plus près. En la faisant tomber, il était sorti un flot de pus et puis… des asticots. La plaie était profonde, le nettoyage fut long. Toutes les 2-3 minutes on faisait une pause, pour lui, pour nous. A chaque fois, la pause terminée, on le coinçait à nouveau et on recommençait sans état d’âme. On lui faisait mal et on le savait.
Après les soins, lorsque j’ai refermé le box généreusement paillé sur lui, il a levé la tête de son foin pour me lancer un regard reconnaissant… la dernière chose à laquelle je m’attendais.
A bientôt.
Catherine Kaeffer