Matériel et méthodes
Dans un article scientifique primaire, on trouve généralement une partie intitulée « Matériel et méthodes » un peu rébarbative. Tant et si bien qu’on saute par-dessus à pieds joints pour arriver plus vite à la partie intéressante « Discussion et conclusions ».
Quand on ne se contente pas de lire l’abstract, le summary ou le résumé…
Et pourtant de même qu’un bâtiment tient solidement debout et traverse le temps sans fissures parce qu’il a des fondations solides, la portée et la solidité d’une conclusion dépend de la conception de l’expérience.
Et pour savoir exactement comment l’auteur en est arrivé à cette conclusion, il faut absolument se « taper » le matériel et méthodes.
Un exemple dans un article récent : influence de l’aliment sur l’évolution de chevaux ulcéreux.
La conclusion de l’article est que l’aliment testé à haute teneur en fibres et en lipides permet d’améliorer la santé de chevaux ulcéreux de façon significative.
Lorsqu’on regarde l’évolution des ulcères sur le groupe recevant l’aliment testé par rapport au groupe témoin, il n’y a pas photo. Effectivement, le groupe de chevaux recevant l’aliment test a vu une évolution des ulcères bien meilleure que celle du groupe témoin.
Et tout cela avec un nombre de chevaux qui statistiquement parlant veut dire quelque chose… ce qui n’est pas toujours le cas. C’est donc une expérimentation sérieuse.
En conclusion, me direz-vous, si je donne cet aliment à mon cheval, cela va le protéger contre les ulcères.
Oui… peut-être.
Quand on regarde le fameux matériel et méthodes, on s’aperçoit que le groupe témoin continuait à recevoir l’aliment auquel chaque cheval était habitué. Disons que pour les témoins, on avait un panel d’aliments de composition variée mais de conception « classique ». Les deux groupes recevaient environ 22 g de foin / 100 kg de PV soit 11 kg de foin par jour pour un cheval de 500 kg sachant que les niveaux de travail étaient assez élevés.
On remarque aussi que l’aliment testé contient effectivement une part importante de fibres (> 20 %), une part importante mais pas exceptionnelle de matières grasses (7.8 %) mais aussi une quantité d’amidon faible (5 %) et une teneur en calcium élevée proche de 2 %.
Logiquement l’aliment test est nettement moins énergétique au kg qu’un aliment « classique » d’au moins 30 %.
On peut en conclure que :
Sans aucun doute possible le fait de remplacer un aliment « classique » par l’aliment test améliore les ulcères (en combinaison avec le traitement véto effectué dans les 2 groupes et qu’il ne faut pas oublier)
Pour apporter la même quantité d’énergie, il faudra apporter plus d’aliment test que d’aliment classique. Donc si vous remplacez votre aliment classique par la même quantité d’aliment test, alors votre cheval n’aura pas assez.
Mais finalement qu’est-ce qui explique le résultat ? Le fait qu’il y ait plus d’apport en fibres et ses conséquences digestives et métaboliques ? Le fait qu’on ait une mastication plus longue ? Le fait que l’on ait remplacé l’amidon par des lipides ? Le fait qu’on ait augmenté l’apport en calcium ?
Si c’est le fait qu’il y ait plus de fibres, alors est-ce qu’une augmentation de la quantité de foin n’aurait pas donné le même résultat ?
De même certains de ces chevaux avaient avant l’expérience des alimentations totalement aberrantes. Est-ce que le retour à une alimentation avec une part maximale de foin et un respect des normes de rationnement en diminuant les quantités d’aliment distribué n’aurait pas été suffisant pour avoir l’amélioration ?
Est-ce que c’est simplement le passage de la voie des glucides à la voie des lipides qui a donné le résultat ? Dans ce cas, un remplacement d’une part de l’amidon par de l’huile serait envisageable.
Ou bien, est-ce que l’élément important est l’augmentation de l’apport en calcium qui était notoirement trop bas dans les rations précédentes et qui revenu à la normale joue son rôle dans la prévention des ulcères ce que pensent certains auteurs ? Dans ce cas, un simple complément minéral vitaminé aurait fait le même effet.
Ou bien est-ce les multiples ingrédients de l’aliment test, dont on n’a pas parlé mais qui sont là et sûrement pas par hasard, ont provoqué l’effet ?
Ou bien une joyeuse synergie de certains de ces facteurs pour faire le boulot main dans la main ?
Et quelle est la dose efficace ? Si vous avez un cheval qui se la coule douce, vous allez lui en mettre très peu. Dans ce cas, est-ce que vous aurez encore un effet bénéfique ?
Cette publication ne permet pas de répondre à ces nombreuses questions. La généralisation disant : si je donne cet aliment à mon cheval cela va le protéger des ulcères, serait abusive.
Il faut des dizaines voire des centaines d’expériences dans des labos différents pour arriver à prouver un point particulier en les recoupant. On me demande souvent à partir de quelle expérience on a déterminé les besoins d’un cheval. Cela n’a pas de sens. Derrière une table, il y a 30 ans d’études et des milliers d’expériences sur toute la surface du globe, puis une synthèse ce qui n’est pas la partie la plus facile. Le type qui dans un coin tout seul a une idée de génie et prouve de façon indiscutable quelque chose, c’est largement un mythe.
L’étiquette d’un sac, la fiche technique, le matériel et méthodes… le diable est dans les détails.
Catherine Kaeffer
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